diotimacomunità filosofica femminile

per amore del mondo Numero 5 - 2006

Il Taglio del Conflitto

Une culture du débat. Pluralité dans le mouvement français des femmes.

La culture française  est une culture du débat, voire même du conflit. La diversité des  perspectives,  la confrontation  des  positions singulières ou collectives  n’y  est pas une atteinte à  la vie commune  mais sa substance   même: le nœud  de  sa vie démocratique .

 

Pourtant, l’avènement  euphorique  du mouvement  des femmes dans  les années 7O avait entraîné, en France comme  ailleurs, le présupposé   de  leur unité, sinon de  leur communion , dans  un   même élan affirmatif. Rapidement   cependant  certaines  pratiques  appropriatives  autant que  certaines  oppositions idéologiques  contraignirent  à  la prise de conscience  de  la diversité des  perspectives  ou  des  intérêts, au sein de  ce mouvement. Il fallut donc  réfléchir d’une part  à ce  qu’ un même objectif  peut entraîner  des  approches  et des stratégies différentes, et  d’autre  part  à ce que  les femmes n’étant pas  nées « naturellement bonnes » peuvent connaître  des  formes de  rivalité ,voire de  dénégation  d e  l’autre  au sein même de  ce mouvement .

 

Mais nous aurons  sans doute  l’occasion  de  développer  ces réflexions générales  lors du colloque qui, à l’initiative de Chiara Zamboni , nous réunira à Vérone  en avril 2OO7. Je voudrais  ici traiter d’un   aspect seulement  de  ce problème, en soulignant comment un même objectif, celui de la « libération des femmes » et de  leur affirmation, peut engendrer  des  pratiques  relationnelles, des   stratégies  politiques et des  options philosophiques  différentes. Et cela  sur la foi de quelques  « cas » qui se sont présentés  au cours  de ces dernières  années, suscitant  un débat  public: la parité de  la représentation politique, le statut des prostituées, l’interdiction  du voile porté par les jeunes  musulmanes  à l’école. Dans ces trois cas, on a vu les féministes divisées, et les « camps » se reformer  chaque  fois  à nouveaux  frais, entraînant  des  alliances  mobiles, parfois inattendues. C’est que  la poursuite  de l’objectif  commun  de transformation des  rapports  entre les sexes  et d’affirmation des  femmes  rencontre  la résistance  factuelle   de  conjonctures   dans  lesquelles  il s’agit  de « juger et de  décider »   sans avoir de « garantie ». Sans réduire   leur pratique   à  la réaction  aux  conjonctures  politiques et sociales    données, les féministes françaises  ne  peuvent  cependant    s’en désintéresser. Ce sont ces aspects  qu’il m’a été demandé   de  souligner  ici.

 

I. La question de la parité

 

Le mouvement  français  des femmes s’est toujours  revendiqué   comme un mouvement politique, non   pas au sens limité de  la participation à la vie des partis, mais au sens où il visait la transformation de  l’organisation du monde  commun, de  ses usages  et  de ses lois. Cette conception  large du politique incluait  la question  du rapport  à  la vie des partis. Celle-ci s’est posée plus particulièrement   quand  certaines, à partir  d’  initiatives européennes,  ont exigé  que le nombre  de  représentantes  femmes au parlement  soit désormais  égal au nombre des  représentants  hommes, et que   ce  dispositif soit concrétisé  par une loi. Certaines se sont abstenues  de  prendre  position, estimant que  la politique des  partis reste  étrangère  à l’enjeu  politique  du féminisme. Parmi les nombreuses  autres, celles qui ont  pris parti pour ou contre  un dispositif paritaire ne l’ont pas toujours fait pour les mêmes motifs.

 

Je ne peux  reprendre ici  toutes les nuances  du débat  complexe  qui a rassemblé  les femmes sur cette question.

Mais celles qui  ont refusé de s’engager  en faveur de  la parité l’ont fait parce  que  d’une  part, les opinions politiques de gauche  ou de  droite  ne dépendent  pas  du sexe  et  sont communément  soutenues  par des hommes et des  femmes, ces dernières  n’étant d’ailleurs  pas nécessairement  « féministes ». Et parce  que, d’autre  part, la parité ainsi   définie  semblerait  confirmer   une dualité  insurmontable  de  l’humanité  et de  la citoyenneté  en deux  catégories  sexuées.

 

Parmi celles qui ont soutenu la parité, certaines  l’ont fait au nom d’une  conception  qu’on  qualifie  en France de « différencialiste » ou « essentialiste »: parce que les femmes ont non seulement  leurs intérêts à défendre  mais une  autre conception  de  la vie politique et de ses rites, et que celle-ci  est complémentaire  de  celle que  pratiquent  les hommes. Mais d’autres  l’ont fait tout simplement  au nom de  la justice, parce  que, même si les femmes ne sont pas par  essence  différentes  des  hommes, et ont des  options  politiques diverses,  il est cependant   légitime qu’elles  partagent  avec eux les responsabilités  du pouvoir et que  cet objectif n’est jamais réalisé  dans le contexte  actuel. Ainsi la parité a pu être soutenue  tant par des  « différencialistes » que par des « universalistes », pour des motifs différents. Il faut y  ajouter  celles qui, sans croire que  la politique se réduit à la représentation, pensaient   que  le débat  mettrait au moins en évidence  la question  des femmes, et que  sans changer  fondamentalement   les perspectives  politiques, la présence  visible de celles-ci  à des postes de responsabilité, donnerait  aux  jeunes  filles  des  figures identificatoires  affirmatives, les encourageant    à se manifester  elles aussi et à prendre  des responsabilités  dans  divers domaines. C’est l’impact symbolique  de  ces figures, plus que l’originalité de  leurs apports, qui semblaient   déterminants : qu’il y ait aussi des femmes  présidentes  de  la république  ou premiers ministres ne change  peut- être pas nécessairement   grand- chose à la politique  mais donne  envie aux  filles de s’affirmer.

 

La parité  dans  la constitution des  listes électorales  des  partis  politiques  a été  rendue  obligatoire. Mais des  concessions  permettent  aux partis  de  détourner  la loi, de sorte que  la France connaît  encore  une  des  plus faibles représentations  politiques  des femmes parmi les  pays européens.

 

2.La question du voile musulman

 

L’éducation  nationale  française  s’honore  de sa neutralité idéologique. Tel  est le sens premier de  la « laïcité républicaine » de  la vie publique supposée  laisser à chacun( e ) la liberté de ses opinions religieuses  ou politiques dans  le privé. L’enseignement  se veut objectif. Les écoles  et lycées  doivent permettre  aux  enfants d’origines  et religions diverses  de se côtoyer, indépendamment   des  opinions  de leurs familles.

 

Le développement  de  la population immigrée  de  tradition musulmane  a suscité quelques   problèmes   au sein des  écoles et lycées. En effet, les conceptions  éthiques  et religieuses  des  familles entraînaient, du côté des filles, certaines résistances  à se soumettre aux  tenues « légères »   prescrites  pour la gymnastique  ou la natation, et  le port de  plus en plus fréquent  et  accentué  du voile dans  les salles de classe. Il est apparu  à certains   que  ces pratiques  introduisaient  dans  la neutralité scolaire  des  particularités  religieuses contraires  à celle-ci, et qui la menaçaient.

 

Il faut ajouter que dans le même temps étaient  contestées  les dispositions (prises  entre autre par la maire socialiste de Lille) consistant à réserver  certains jours  aux seules femmes l’accès  aux  piscines municipales, dans  le souci de rendre  la natation  accessible  aux musulmanes. Cette  non- mixité fut considérée  comme illégale.

 

 

Un débat  s’est développé sur  la question. Certain(e)s, qui ne sont pas nécessairement   religieux, considéraient que  l’interdit  du voile ne s’attaquait  qu’aux symptômes  du problème, et mettait en difficulté des jeunes  filles pour qui l’accès   à l’enseignement  public  était un outil indispensable  d’affirmation  et d’émancipation. Interdire   le voile risquait  de  décider  leurs familles à les envoyer  dans  des  écoles  coraniques  et à limiter leurs études..

D’autres  pensaient  qu’au contraire, interdire le voile à l’école  permettrait  aux jeunes  filles de s’en débarrasser en opposant  la loi française  à la volonté  de leurs pères et frères. Là encore  les femmes, et les féministes, ont pris des positions contrastées, dans  les deux  camps.

 

De nombreux  débats  très vifs  se sont tenus.. Il faut souligner que  pour éviter d’avoir  l’air de  viser  une religion plutôt que d’autres, la loi avait élargi son interdiction  à la kippa juive, à la  croix chrétienne  trop ostensible, mettant cependant   dans  l’embarras  le port  du turban par les sikhs.

 

Tout ce débat  risquait  de  sombrer dans  le ridicule  des  détails, mais il s’est finalement terminé sans trop de conséquences. L’interdit du voile à l’école  a été voté. Il ne semble pas qu’il  ait provoqué  les conséquences   négatives  ni positives qui en étaient attendues. Le  débat  a peut-être  favorisé  la prise en considération  croissante  de l’importance  et des  problèmes  spécifiques  des immigrées  dans  l’approche  française    du problème  des femmes.

 

3.La question du statut des prostituées

 

En France, la prostitution est en principe  interdite. Dans  les faits  elle est tolérée. Mais son interdiction fait que les prostituées ont une existence en quelque  sorte  clandestine  et  ne bénéficient   d’aucun  des  avantages sociaux –sécurité sociale, retraite- attachés  à l’exercice  d’une  profession.Aussi leur situation, surtout quand  elles vieillissent, est-elle particulièrement  difficile: elles n’ont pas d’assurance- maladie  ni  de retraite.

 

Certains groupes  de femmes mènent un combat ( à ramifications internationales)  en faveur de  la reconnaissance   de  la prostitution comme profession et donc  de  sa normalisation. Leurs  arguments sont divers. La prostitution serait en effet une profession  comme les autres dans  la mesure où elle est librement  pratiquée: vendre  ses  services sexuels  n’est pas pire que de vendre  ses services domestiques. Derrière   cette argumentation  se cache souvent  le présupposé  selon lequel  toute hétérosexualité, y compris  conjugale,  est  une forme de   prostitution séculaire  inavouée .

 

Selon les partisans   de la   reconnaissance  professionnelle  banalisée  de  la prostitution, cette reconnaissance  ne favoriserait pas son expansion  mais permettrait  de  distinguer  la prostitution  légale pratiquée   librement  par  des  indépendantes   ou supposées  telles,  de la prostitution sauvage  des  trafiquants  mettant sur le marché  de  nombreuses  adolescentes   issues des  pays  de l’Est ou d’Afrique  et qui sont sans défense. Elles  soulignent et soutiennent  le fait que des groupes  de  prostituées  revendiquent elles-mêmes   la légalité, voire la dignité  de  leur métier, «librement choisi » comme  un parmi les autres. Cette légalisation  de la profession  permettrait  d’ailleurs  la répression  accrue  de  la prostitution illégale  des  étrangères, souvent  très jeunes  et mise sur le marché  par des  trafiquants  qui devraient  alors être sévèrement pénalisé( e )s. Cette argumentation  frappante  n’est  toutefois pas étrangère   à une  sorte de loi de  la concurrence, les  jeunes  étrangères  étant  souvent plus attractives  de  par  leur âge, par  les prix  qu’elles  demandent , et l’inconditionnalité  de leurs  pratiques.

 

D’autres  femmes ou féministes, tout  en reconnaissant  la fragilité de  la position sociale des  prostituées, refusent  leur assimilation à celle des  autres professions. Ce serait en effet entériner  légalement  le fait que le corps des femmes est un objet  de  commerce , et banaliser  son instrumentalisation. Ce serait une fois pour toutes entériner  la réduction  du  corps au rôle d’instrument , ou de matériel exploitable   au service  de la sexualité masculine. Pourtant, elles sont bien conscientes   de  ce que  la condition effective   des prostituées  les met dans  des  situations socialement  difficiles. Elles s’interrogent  donc sur le fait de savoir comment celles- ci pourraient bénéficier des  avantages  sociaux à titre individuel, sans que pour autant leur activité  soit reconnue  comme  une activité  commerciale  banale  car l’entériner c’est en effet admettre  une  fois pour toutes que  le sexe  des femmes est un objet détachable  au service du profit masculin et par voie de  conséquence  soutenir  la position instrumentale  des femmes  dans la représentation masculine. Les  partisans   de  cette tendance  refusent  absolument  de  réduire la prostitution à une profession  parmi les autres -et  le corps à un matériau  utilisable- et luttent pour son interdiction  comme  pour  la poursuite des  souteneurs, voire aussi des clients , et  pour  un recyclage  professionnel  des prostituées  leur permettant   de trouver   un statut social et économique  « normal »…

 

Le problème  est d’autant plus difficile à traiter que  d’importants  intérêts économiques, y compris internationaux  sont en jeu, contre  lesquels  l’idéalisme  peine à s’affirmer. Il est vrai aussi  qu’un certain nombre de  prostituées  revendiquent  elles-mêmes  la libre détermination  de  leurs  actes, et les plus privilégiées  d’entre elles-les « call-girls »- considèrent  que  leur « métier » est plus rentable et moins contraignant   que  n’importe quel  autre. On peut  certes  considérer  que  de  tout temps  les femmes ont « librement » choisi leur asservissement, mais  le débat  est incontestablement  difficile quand il s’agit tout à la fois de récuser   la prostitution tout en respectant  la parole  des  personnes -de  certaines personnes- prostituées.

 

La  conception  de la liberté et de  la contrainte   est ici en jeu, et si les prises de  positions sont   nettement  tranchées, opposant  violemment   les  « clans », l’argumentation  n’est pas simple.

 

Remarques  générales

 

Ces quelques   exemples   indiquent   que, animées  par un même  souci de la vie des femmes, les théoriciennes  et les politiques  peuvent  être amenées  à débattre, voire à s’opposer sur l’adoption  des  formes  de libération. Plus ou moins unies dans  la critique  du monde  donné, les femmes peuvent  concevoir  de manières   différentes  les fins qu’elles poursuivent  et les moyens à mettre en œuvre. Un même souci  les réunit cependant, -doit   les réunir -le souci de  continuer  à parler  et agir   ensemble  pour tenter de  favoriser  l’affirmation progressive  de toutes. Nous n’avons pas toutes la même conception  de  ce que serait le monde « idéal ». Mais il importe que nous en  discutions  plutôt que de  feindre  un accord  inexistant ou de  l’imposer dogmatiquement.

 

Il faut toutefois souligner que  si les  divergences  d’opinion  et  de stratégies  sont particulièrement  visibles quand  elles portent  sur des enjeux  de  la scène politique  commune, elles se manifestent  aussi  plus subtilement  dans  toute la pratique  tant de la pensée  que  de l’action  et font l’objet  de  débats  présents  au sein même des « études de genre » de  type universitaire. Aussi  est-il peut-être  utile de rappeler  très  brièvement  pour finir  les « écoles » de pensée  de  la différence   des  sexes qui se sont manifestées  en France  et s’y  manifestent.

 

L’école  qu’on  qualifie en Italie comme « de la différence »  est , en référence  à  la pensée  de  Luce Irigaray, qualifiée en France  d’ «essentialiste »  en ce qu’elle  postule une spécificité ontologique  des  sexesdès  lors fixés dans  leur  dualité.

La pensée   dominante, qualifiée d’ «universaliste » et héritière plutôt de Simone de Beauvoir, affirme quant  à elle que  la qualité  d’être  humain -d’ «individu »-  prime les différences  sexuelles  qui sont pour  une grande  part « construites » par l’histoire et la politique, et donc  déconstructibles.

Enfin depuis quelques  années  se développe  fortement  un courant  lié au post-modernisme, et inscrit aujourd’hui   dans   le registre de la queer  theory  insistant quant à lui sur l’indécidabilité  sexuée  c’est à dire sur l’articulation complexe  d’éléments  féminins et masculins dans  tout  individu humain. La référence  majeure  de  ce  courant  est Judith Butler dont toutes les œuvres  ont été traduites en français. Mais  ses antécédents   dans le courant  philosophique   seraient  Foucault, Deleuze, ou Derrida  qui, comme je l’ai souvent  souligné, recourt   au concept  de différance  (avec un a).

 

On voit ainsi que  des divergences   tant théoriques  que politiques  constituent  la vie même de  ce qu’on peut  toujours  appeler  d’un  terme général  « le mouvement des femmes » en France. Il importe de parler  et de penser  ensemble, dans  l’accord  comme dans  le désaccord. Assumer et  formuler ce qui nous sépare, c’est en effet   se donner  la chance  de  rester   ensemble, sans assujettissement  à une dogmatique .

 

J’ai tenté de  dresser  ici  un tableau sommaire  de  la situation. Le colloque  organisé  par Chiara Zamboni à Vérone  en avril 2OO7 me permettra  de développer   une conception  plus personnelle  et plus élaborée   de ce  problème.